Alex Chevalier
Des affiches apparaissent, collées sur les murs. Le passant curieux devra faire preuve d’attention pour déchiffrer dans ce texte aux lettres emmêlées des phrases comme « nous ne ferons plus d’objets/l’art est la vie/notre médium la révolution et dans un monde basé sur la répression notre seul message est libération » ou « nous cherchons une forme d’action qui transcende la séparation entre l’art et la politique : c’est l’acte de révolution ». Le « nous » dont il est ici question semble bien dépasser la seule personne de Alex Chevalier qui en est l’auteur. Une voix qui apparait portée par une masse indistincte mais unie. C’est la puissance de cette communauté qui semble intéresser Alex Chevalier dont le travail se porte bien plus sur la forme de cette position de revendication que sur un message précis et particulier.
Ainsi il réalise Silence ! Il s’agit d’un ensemble de dessins faits sur planches trouvées dans la rue et assemblées pour former des panneaux et autres banderoles. Mais ces objets ne comportent aucun message. Au contraire, ils sont ornés de motifs géométriques typiques d’une abstraction plus proche des caractéristiques du tableau que d’un intérêt pour les affres du monde. Néanmoins il en garde leur fonction d’expression d’une révolte. Celle-ci est d’ailleurs d’autant plus sourde qu’elle ne se lit, là encore que comme masse prête à la confrontation.
Cet intérêt pour le désaccord le plus brutal on le retrouve dans une série de cartes postales. Sur l’une d’elles l’image arrive comme un pavé envoyé à son destinataire : un homme de dos, cagoulé, les majeurs en l’air. Expression manifeste d’un refus radical, d’un désir de s’extraire et d’un penchant pour l’autonomie qui s’expriment également dans des projets d’Alex Chevalier où celui-ci entend créer un réseau de circulation alternatif. Black Market est ainsi un jeu de 5 linogravures représentant des scènes de manifestations et de révolte. Réunies dans un sachet en plastique, elles sont distribuées gratuitement aux passants. Comme pour sa série de posters, le message est envoyé mais le travail de réception reste à faire. Il en va de même lorsqu’il propose de diffuser gratuitement certains textes militants.
Sur le même principe, il crée les journaux DI SPUREN et Kontakt. Le premier est dédié à l’esthétique et la contestation. Le second se présente comme un espace vierge investi pour chaque numéro par un invité différent. Car c’est bien à la mise en place d’une participation active et d’une auto-organisation qu’œuvre Alex Chevalier. Si ces positions s’enracinent dans un refus brutal c’est aussi parce que son combat prend les formes d’un échange social.
François Aubart, Alex Chevalier, 2014,
texte publié à l’occasion de l’exposition Les enfants du Sabbat XV, le Creux de l’enfer, Thiers